PETITE HISTOIRE DES CONSCRITS

Dans toutes les communes de France, le recensement des jeunes en vue d’effectuer le service militaire a donné lieu à des rassemblements et réjouissances repris d’années en années et de générations en générations en une sorte de rituel joyeux.

La conscription générale de toute la population masculine, cependant, ne date que de la fin du 19° siècle - lois promulguées en 1872 et 1889. La tradition des conscrits n’est donc pas très ancienne, elle était même assez récente pour les conscrits dont on retrouve dans les albums de famille les premières photographies, comme dans la commune de Saint Aupre en Isère (ci-contre) : conscrits de la classe 1896 pris en photo “pour la postérité” le 2 février 1897.

Pourquoi un recensement général en 1872 ? Après la défaite en 1870 de Napoléon III contre la Prusse - histoire récente donc pour ces mêmes conscrits nés juste après -, il apparut nécessaire d’instruire en temps de paix tous les français pour les rendre opérationnels en cas de nouveau conflit armé. La peur d’un Etat prussien très organisé militairement qui s’étendait jusqu’à l’Alsace et la Lorraine a joué un grand rôle dans cette décision. On procéda donc à partir de là, tous les ans, à la révision des “inscriptions sur les listes de matricules” en faisant passer les intéressés devant un “conseil de révision” (des listes).

On continua cependant quelques temps l'ancienne pratique du tirage au sort pour constituer un contingent annuel, c'est-à-dire atteindre un nombre fixé à l’avance de conscrits devant effectuer le service militaire. Mais en 1905 ce tirage au sort fut supprimé ce qui impliqua que tous les conscrits déclarés aptes devaient effectuer leur service. On garda malgré tout le terme de contingent pour désigner l’ensemble des appelés ; ce terme se différencie de celui de classe que s’est rapidement approprié la population et qui inclura peu à peu tous les jeunes gens nés une même année, y compris les jeunes gens réformés, et englobant aussi les jeunes filles. La classe a contribué à constituer un lien entre individus qui est encore perceptible de nos jours.

Pourquoi célébrer cet événement de façon folklorique, mais en tenue soignée, au son du clairon et du tambour, drapeau au vent, cocarde à la boutonnière et bérets ou chapeau sur la tête (photos de 1904 ci-dessus et 1914 ci-contre) ? Le désir d’effectuer un service militaire pendant une ou plusieurs années - cinq ans pour les infortunés conscrits de 1872 à 1889 – et d’apprendre à manier des armes, n’est pas la raison principale quoique l’idée de défendre son pays, et le montrer à son village, devait jouer un rôle. Le dépaysement et l’idée de découvrir autre chose ailleurs qu’au “pays”, de découvrir la ville et, pour ceux qui ne parlaient que le patois ou la langue régionale, d’apprendre le français y est aussi pour quelque chose. Le sentiment de devenir vraiment un homme parmi ses congénères et de le clamer haut et fort est aussi, assurément, une bonne motivation individuelle. Avant de se soumettre aux obligation de défense de la patrie avec pour horizon gloire, sang et peut-être sacrifice de sa vie, principes insidieusement ancrés dans les consciences populaires, autant faire la fête !

Tout cela ne dura finalement qu’un siècle et ne survécut pas à la suppression du conseil de révision qui intervint en 1970 suite à une réforme de 1965. Une tradition française s’est éteinte sans tambour ni trompette pourrait-on dire, instruments qui étaient pourtant les symboles des parades de conscrits, à leurs débuts.

Il n'en reste que des photos mais quelles photos ! On est surpris par la remarquable qualité des clichés de la fin du 19° et du début du 20° siècle. On s'étonne devant la richesse des vêtements des jeunes filles de cette époque qui se faisaient un honneur de paraître pour la circonstance dans des robes confectionnées avec soin et qui avaient assurément coûté quelques sacrifices. Après la première guerre mondiale, les vêtements seont moins recherchés et ce sera plutôt la présentation des photos qui marquera la solennité de l'événement (photos encadrées ci-dessous de 1929 et 1942). Mais même de moins bonne qualité, même plus ou moins bien conservées, les photos de conscrits restent un témoin du temps extraordinaire que beaucoup de familles possèdent encore.